Un beau matin de Juillet, la vaste région d'Amakna recueillit en son sein une toute jeune feca aux cheveux sanguins, aux yeux noirs et au teint blanc. Rien de spécial ne se passa ce jour là, aucun évènement ne vint saluer la nouvelle venue. Les habitants s'affairaient à leurs besognes quotidiennes dans la quiétude et la joie. Sa mère, à qui elle ressemblait énormément, avait cessé de croire que son coureur de mari lui reviendrait un jour. Il parait qu'il a aujourd'hui bien mal tourné et qu'il rôde parfois, au coeur de landes obscures, à la recherche de quelque scorbute à se mettre sous la dent.
Cette mère célibataire décida donc, en hommage à la vie dans ce qu'elle a à la fois de plus juste et de plus sage, de prénommer sa fille Epicurine. Comme pour rappeler à son enfant, à chaque instant, qu'il faut vivre pleinement sans cautionner la licence.
Alors qu'elle partait couper du bois dans la forêt avoisinante pour réchauffer sa chaumière, elle fut brutalement attaquée par un arbre ancestral qu'elle venait de tirer d'un long sommeil. Epicurine ne revit plus jamais celle qui lui avait donné la vie...La jeune enfant encore fragile venait d'être livrée brutalement au monde amaknéen.
Alors qu'elle pleurait dans son berceau, une vieille dame, attirée par ces bruits stridents, entra dans la modeste demeure et vint se pencher sur elle. Epicurine n'avait encore jamais vu de visage si ridé. Elle en fut tellement surprise qu'elle se mit à hurler de plus belle. Ses pleurs firent voler les vitres en éclat et provoquèrent miraculeusement, autour de la jeune enfant, un puissant bouclier de lumière.
La vieille femme comprit à l'instant que l'enfant possèdait un fabuleux don de protection et que, si son utilisation était encore fort instinctive, il ne lui faudrait que peu d'entraînement pour développer de bien plus prodigieuses qualités. Elle sourit à la jeune feca, d'un sourire qui effaça ses rides les plus profondes et amadouerait le plus féroce des meulous; puis emmena le couffin vers le village.
La vieille femme n'avait plus l'âge ni la patience pour assurer l'éducation d'une enfant. Mais elle savait oublier ses tourments pour permettre à Epicurine de développer toute l'étendue de ses facultés. Sa sagesse et sa persévérence étaient parfois masqués par de gros accès de colère et il n'est pas rare, aujourd'hui encore, d'entendre ces deux femmes vociférer jusqu'à Brakmar sans raison apparante.
Très tôt Epicurine apprit à se battre, mais aussi à pêcher, car sa grand mère manie sans doute aussi bien la canne que la pelle. Jamais elle ne connut la douce chaleur d'une maisonnette. Tous les soirs, elles plantaient leur tente où il leur semblait bon.
Vers l'âge de treize ans, la vieille femme offrit à sa pupille une dragodinde au beau pelage roux. L'animal était fort sauvage mais à grand renfort de pérsévérence, Epicurine parvint à la dompter. Elle tomba tant de fois avant de maitriser la bête qu'elle se sent aujourd'hui capable de débourrer et d'elever n'importe quel dindon. Elle connut sans doute l'une de ses plus grande joie lorsqu'elle traversa la forêt pour la première fois, esquivant les arbres, à vive allure, les cheveux aux vent...
Il est rare que les enfants amaknéens restent longtemps auprès de leurs parents. Dès l'âge de dix-sept ans, Epicurine décida de continuer son chemin seule. Ce fut la première fois qu'elle vit sa grand-mère adoptive verser une larme, presque imperceptible.
Alors qu'elle voyageait de part le monde, sans autre but que de se griser de découvertes, de paysages insoupsonnés, de nouvelles senteurs et de rencontres fortuites, elle fit connaissance avec un groupe de joyeux drilles de tous bords...Ces heureux jeunes gens décidèrent de la prendre sous leur aile, au sein d'un groupe ma foi bien sympathique. Aujourd'hui encore, elle combat à leur côtés.